dimanche 3 juin 2012

Paratexte, livre-objet et culture numérique

Hier, j'ai lu un livre. 
J'ai lu un livre que je n'avais pas lu depuis ... si longtemps, un livre que j'ai redécouvert au cours d'une de ces crises de rangement, un livre de ... Mais le nom de l'auteur, le titre (*) ne sont pas importants. Ce qui m'a paru important à ce moment-là, c'est ce que j'ai (re)trouvé dans le livre, avec le texte, j'ai lu un livre, je n'ai pas lu un texte (pardon Jean-François Gayrard !) 

J'ai trouvé une annotation de l'amie qui m'avait donné ce livre, pas une dédicace mais un petit mot tendre, pour me proposer d'aimer ce livre autant qu'elle.
J'ai trouvé page 128 un vieux marque-page coincé dans un chapitre que j'avais visiblement parcouru maintes fois si j'en crois les marques sur les pages, le papier lisse, les caractères grisonnants.
J'ai trouvé des notes, des gribouillis, des dessins dans la marge, preuves d'une attention particulière. Et en relisant cette portion de texte très annotée, ont afflué des souvenirs, des pourquoi et des comment.
J'ai trouvé des souvenirs de l'époque où j'ai lu et aimé ce livre, des lieux, des sensations, de la musique que j'écoutais alors.
J'ai trouvé un morceau de papier plié en quatre, je l'ai ouvert, j'ai senti le papier fragile sous mes doigts, j'ai lu et "entendu" ce poème qu'elle avait composé et inséré dans le livre, pour moi.
J'ai tourné les pages au hasard, ou presque, à la recherche de ces traces personnelles, comme pour m'aider à lire une deuxième fois, à relire.
Je me suis surpris à rester immobile quelques longs instants, les yeux figés sur ces feuilles, sur ces phrases, imprimées ou manuscrites, que je ne lisais plus, que je ne regardais même plus, car je fixais un point loin derrière les mots, un point de mon passé. 

Nostalgie !
Ou vénération pour l'objet-livre, au-delà du texte ? 

Le plaisir n'était pas tant pour le texte, les phrases, les mots d'un auteur -ou d'une amie- que j'avais pleinement apprécié, que pour le toucher de la couverture pâlie et écornée, le contact du papier tant de fois froissé, les images qui se formaient à côté du texte.

Bref, j'ai relu un livre, un vrai livre, un livre-objet, un livre-souvenir. Encore aujourd'hui, le livre est là, à côté de l'ordi sur lequel j'écris cet article, je garde un oeil sur lui, je suis content de l'avoir retrouvé.
Je dis LUI, le livre et le texte et les notes et les images et les souvenirs et les sensations.

(*) Richard Bohringer, C'est beau une ville la nuit, éditions Denoël, 1988